Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Editez pour vous-même, partagez avec les autres...
Editez pour vous-même, partagez avec les autres...
Publicité
Archives
Albums Photos
Pages
28 juin 2014

" La ronde de Nuit "

" Chuuut plus de bruit, c'est la ronde de nuit. En diligence faisons silence, marchons sans bruit c'est la ronde de nuit...."

Chapitre 1

 

Le grand oiseau de nuit, se fiant à sa mémoire pour se déplacer,  posait sur l’air froid ses larges ailes floconneuses, évitant les pièges des montagnes, aussi calmes que des géants endormis épaule contre épaule. Au-dessus, un ciel de velours. En dessous, le bois. Très dense.

Le pilote se tourna vers le passager et indiqua devant lui un énorme trou blanc au sol, semblable au cratère lumineux d’un volcan. L’hélicoptère vira dans cette direction.

Ils atterrirent au bout de sept minutes sur la nationale. La route était fermée et la zone occupée par la police. Un homme en costume gris vint accueillir le passager jusque sous les hélices, les yeux plissés par le vent et la poussière.

- Bienvenue, professeur, nous vous attendions, hurla-t-il  pour couvrir le bruit de l’appareil.

Ian Neraque ne répondit pas.

Le lieutenant de police Piemont continua :

- Venez, je vous expliquerai en chemin.

Ils s’engagèrent sur le côté de la route d’où partait un petit chemin accidenté, ballasté par des scories volcaniques, laissant derrière eux le bruit de l’hélicoptère qui reprenait de l’altitude dans le ciel encre.

-La scientifique a déjà fait son boulot, le chemin est clean. Même si avec ce type de revêtement il n’y a pas grand-chose à attendre de ce côté-là.

 Pendant que les deux hommes prenaient de la hauteur la brume fuyait devant eux, dévoilant le profil des collines. Le parfum des pins, mélangé à l’humidité rendait l’atmosphère froide et moite.

- Faire venir l’équipe ici, sans alerter les médias, n’a pas été simple je vous l’assure. Mais vu la situation on n’avait pas le choix. Il faut que vous voyiez ça de vos yeux Prof.

Le lieutenant Piemont précédait Ian de quelques pas, repoussant la végétation, tout en lui parlant.

— Tout a commencé hier, vers seize heures. Un couple faisait de la randonnée avec leur chien. Un labrador je crois. Ils ont décidé de faire une halte dans la clairière. D’après leur témoignage, l’animal était comme fou pendant leur pause. Ce foutu chien s’est d’abord mis à japper puis à creuser un trou….C’est là qu’est apparu le premier.

Ian écoutait mais force est de constater que pour suivre le policier dans la pente raide il devait mobiliser le gros de ses forces. Rien n’était plus pareil depuis sa sortie de l’hôpital il y a trois ans. Son corps n’avait toujours pas récupéré. Le lieutenant quant à lui était alerte. Ses vêtements déchirés par les arbustes témoignaient  des nombreux allers retours déjà effectués sur le chemin.

-Le couple s’est enfui, normal,  on ne voit pas ça tous les jours. Ils ont prévenu la gendarmerie locale. Là ils ont fait leur boulot. Examens minutieux des lieux, balise sur le chemin etc….La routine …  jusqu’au moment où l’un d’eux a eu la bonne idée de creuser a côté… pour voir s’il y avait autre chose. Ils ont trouvé le deuxième. Et le troisième. Ils ont finis par nous appelés. On est ici depuis une heure du matin. Nous ne savons pas encore combien il y en a la dessous…continua le lieutenant. Ah ça y est on est arrivé…..   

Ian vu pourquoi du ciel la scène ressemblait à la gorge d’un volcan. Installé en cercle des halogènes pourvus de batteries individuelles éclairaient la clairière. L’odeur des pins s’évanouit pour laisser place à une odeur d’acide phénique. Sans savoir pourquoi, Ian se remémora le martyr de Maximilien Kolbe.

Et le temps se ralentit…

Des hommes en combinaison blanche creusaient dans une lumière halogène. Aucune parole. Presque une déférence religieuse entourait le site de fouille. Des archéologues macabres munis de pinceaux et de petites pelles pour lever délicatement la terre. Pendant que certains creusaient d’autres photographiaient les lieux. On aurait dit un film de mauvaise s-f des années 60.  

Ian reconnus Elsa Magelle et Claude Russo. Tous deux était des sommités de l’Inps. Il y avait aussi le capitaine Nevers….Celui-ci s’approcha de lui très rapidement. Avant même qu’il ouvrit la bouche Ian le questionna :

-Il y en a combien ?

-Il y a sept fosses. Toutes rectangulaires et d’à peu près 60 cm sur 20. Elles font 1 mètre de profondeur. Et il y a la même chose dans chaque fosse.

Ian se raidit. Une chose dans chaque fosse. Quand un policier utilise le terme chose, cela n’indique rien de bon. Il tourna un regard interrogateur  vers  Piemont.

La réponse arriva :

- Il y a dans chaque fosse un bras gauche découpé de l’épaule au poignet. Le tout lié à un torse découpé du haut de la cuisse jusqu’à la base du cou. Les torses ont un trou de 10 centimètres sur dix au niveau du sternum, mais il ne manque apparemment pas d’organes….Enfin à première vue on n’a pas encore de rapport légiste. Mais ce n’est pas le pire….

Ian savait, il avait déjà fait les calculs par rapport à la taille des fosses. Il regarda les hommes s’affairer dans ce minuscule cimetière. La terre était meurtrie et ne rendait que des restes en décomposition. Mais le mal planait ici dans ce temps suspendu et irréel.

-Des enfants….

Pendant quelques secondes le silence accueillit sa réflexion.

-Des fillettes, entre  8 et 13 ans.

Le capitaine Nevers avait prononcé cette phrase  d’une voix sèche et monocorde. Un son qui avait perdu tout timbre. Comme un crachat, qui rend la bouche amère si on le retient trop longtemps.

 

 

 

Tout avait commencé deux mois plus tôt avec la disparition d’une élève d’un collège pour enfants de riches. Tout le monde avait pensé à une fugue. La protagoniste avait douze ans et se nommait Nina. Ses camarades se souvenaient de l’avoir vue sortir après les cours. Dans le dortoir des filles, on ne s’était aperçu de son absence que pendant l’appel du soir. Au premier abord une de ces histoires auxquelles on consacre un demi-article dans les faits divers, et dont le dénouement attendu et heureux n’a droit qu’à un entrefilet.

Puis Catherine avais disparue.

Cela s’était passé dans un petit village de bord de route du Vexin. Catherine avait dix ans. Au début, on avait pensé à un accident de la route. Toute la population locale avait participé aux recherches. Mais sans succès.

Avant qu’on puisse comprendre ce qu’il se passait réellement, cela s’était produit à nouveau.

La troisième s’appelait Sybil, c’était la plus jeune. Sept ans. Cela avait eu lieu en ville, mardi soir. Ses parents l’avaient emmenée à une fête car ils voulaient que leur fille profite du carrousel installé pour l’occasion. Elle était montée un cheval de bois, il y avait beaucoup d’enfant. Sa mère l’avait vue passer la première fois, elle lui avait fait un signe de la main. La deuxième, et elle avait répété son signe. La troisième fois, Sybil avait disparu.

À ce moment-là, on avait commencé à penser que trois petites filles qui disparaissent en l’espace de trois jours, ce n’était pas normal.

Les recherches avaient démarré. On m’y en place un programme de vigilance, des appels à la télévision. Un maniaque sévissait dans la région, peux être une bande. La vérité était qu’il n’y avait aucun éléments pour faire avancer les recherches sur une période si courte et à des endroits géographique si hétérogène. Trois jours, des centaines d’appels, de signalements, pas de vrais témoins. Ils auraient fallu des mois pour enquêter sur le nombre d’informations recueilli par le biais du numéro vert créé à l’occasion. Les réseaux sociaux s’en donnaient à cœur joie. Trop d’information tuait l’information….De plus la police local et la gendarmerie avait du mal à se coordonner.

L’unité spéciale d’investigation du capitaine Nevers avait été chargée de l’affaire au quatrième jour. Ce genre d’affaire ne faisait à priori pas partie du champ d’action de ce groupe mais la psychose grandissante avait conduit à l’exception.

Nevers et son équipe étudiaient déjà le cas quand la quatrième fillette avait disparu.

Elise était la plus âgée : treize ans. Comme à toutes les filles de son âge, ses parents lui avaient imposé un couvre-feu, craignant qu’elle ne puisse être victime du maniaque qui terrorisait la région. Mais l’interdiction de sortie avait coïncidé avec le jour de son anniversaire, et Elise avait d’autres projets pour ce soir-là. Avec ses amies, elle avait mis sur pied un petit plan pour faire le mur et aller s’amuser dans une salle de bowling. Toutes ses amies y étaient arrivées. Seule Melissa ne s’était pas présentée.

À partir de là, une chasse au monstre confuse et improvisée avait débuté. Les citoyens s’étaient mobilisés, prêts à faire justice eux-mêmes. La police avait posté des barrages sur les routes. On avait renforcé les contrôles des individus déjà condamnés ou soupçonnés de crimes sur des mineurs. Les parents n’osaient plus laisser sortir leurs enfants, même pas pour aller à l’école. De nombreux établissements avaient dû fermer pour cause de manque d’élèves. Les gens ne quittaient leur domicile qu’en cas de stricte nécessité. À partir d’une certaine heure, villages et villes étaient déserts.

Le rapt du cinquième jour fut le plus spectaculaire.

Caroline, onze ans. Elle avait été enlevée dans son lit, alors qu’elle dormait dans sa chambre à côté de celle de ses parents, qui ne s’étaient rendu compte de rien.

Pendant quelques temps, il n’y avait pas eu de nouvelle disparition. Beaucoup pensaient que toutes les mesures de précaution mises en place avaient eu l’effet escompté, décourager le ou les coupables. Les recherches continuaient, l’espoir de retrouver les cinq enfants vivant n’existait plus. On pensait que le cauchemar s’en était allé, cherchant d’autres victimes dans d’autres régions. On accusa les gens du voyage, puis des forains, puis les étrangers en général. Mais ils se trompaient.

Cela dura un mois puis il y eu Sabine…

Puis Marie…

Sept fillettes enlevées en trente-six jours une semaine. Ensuite, vingt-cinq jours de silence.

Jusqu’à ce moment.

Jusqu’à ces sept fosses.

Nina, Catherine, Sybil, Elise, Caroline, Sabine, Marie.

Ian regarda le cercle formé par les petites fosses. Une ronde macabre. On aurait presque pu les entendre chanter une comptine.

— À partir de maintenant, il est clair qu’il ne s’agit plus d’affaires de disparition, dit Nevers en faisant un geste de la main autour de lui.

C’était une habitude. Ian, Lisa, Claude et Piémont vinrent le rejoindre et écoutèrent, le regard rivé au sol et les mains croisées derrière leur dos.

Nevers commença :

— Je pense à celui qui nous a conduits jusqu’ici, ce soir. À celui qui a prévu tout ceci. Nous sommes ici parce qu’il l’a voulu, parce qu’il l’a imaginé. Et il a construit tout ceci pour nous. Parce que le spectacle est pour nous, messieurs. Rien que pour nous. Il l’a soigneusement préparé. Savourant d’avance le moment, notre réaction. Pour nous étonner. Pour nous faire savoir qu’il est grand, et puissant.

Ils acquiescèrent.

L’auteur, quel qu’il soit, avait agi en toute sérénité.

Nevers, qui avait depuis longtemps pleinement intégré Ian à l’équipe, s’aperçut que le criminologue était distrait : les yeux immobiles, il suivait une pensée.

— Et toi, professeur, qu’est-ce que tu en penses ?

Ian émergea de son silence et dit seulement :

— Les oiseaux.

Au début, personne ne comprit.

Il continua, impassible :

— Je ne m’en étais pas aperçu en arrivant, je viens de le remarquer. C’est bizarre. Écoutez…

Des milliers de voix d’oiseaux s’élevaient du bois.

— Ils chantent, dit Lisa, étonnée.

Ian se tourna vers elle et fit un signe d’assentiment.

— Ce sont les projecteurs… Ils croient que c’est l’aube. Et ils chantent, commenta Claude.

— Vous pensez que cela a un sens ? reprit Ian en les regardant, cette fois-ci. Eh bien, oui… Sept bras enterrés. Des morceaux. Sans corps. Si nous le décidons, personne ne verra de cruauté dans tout cela. Sans les visages, pas de corps. Sans les visages, pas d’individus, pas de personnes. Nous devons seulement nous demander où sont ces fillettes. Parce qu’elles ne sont pas là, dans ces trous. Nous ne pouvons pas les regarder dans les yeux. Nous ne pouvons pas percevoir qu’elles sont comme nous. En réalité, il n’y a rien d’humain dans tout cela. Ce ne sont que des morceaux… Pas de compassion. Il ne nous y a pas autorisés. Il ne nous a laissé que la peur. On ne peut pas avoir pitié pour ces petites victimes. Il veut seulement nous faire savoir qu’elles sont mortes… Vous trouvez que cela a un sens ? Des milliers d’oiseaux dans le noir, contraints à crier autour d’une lumière improbable. Nous ne pouvons pas les voir, mais eux, ils nous observent – des milliers d’oiseaux. Que sont-ils ? C’est simple. Mais c’est aussi très illusoire. Et il faut se méfier des illusionnistes : parfois, le mal nous trompe en revêtant la forme la plus simple des choses.

Silence. Une fois encore, le criminologue avait saisi un sens symbolique, à la fois petit et important. Ce que les autres n’arrivaient souvent pas à voir ou – comme dans ce cas – à sentir. Les détails, les contours, les nuances. L’ombre autour des choses, l’aura sombre dans laquelle se cache le mal.

Tous les assassins ont un « dessein », une forme précise qui leur procure de la satisfaction, de l’orgueil. Le plus difficile est de comprendre leur vision. C’est pour cela que Ian était là. C’est pour cela qu’ils l’avaient appelé. Pour qu’il repousse ce mal inexplicable à l’intérieur des notions rassurantes de la science.

À ce moment-là, un technicien en combinaison blanche s’approcha d’eux et s’adressa directement à l’inspecteur chef avec une expression confuse sur le visage.

— Il y a un problème… Nous avons six bras, maintenant.

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité